Le roman graphique ? Ce terme ne vous est peut-être pas familier, mais vous n’avez pas pu passer à côté de ses représentants, pour peu que vous vous soyez un peu intéressés à la BD ces derniers temps.
Quelle est la différence entre roman graphique et bandes dessinées ? Qu’a-t-il de particulier, ce roman graphique ? A-t-il sa place en bibliothérapie ?
Depuis une quinzaine d’années, auteurs, dessinateurs, éditeurs, tous s’en sont donnés à cœur joie et la production de romans graphiques a pris l’ascenseur. Sur des thèmes aussi divers que l’histoire, la religion, les problématiques sociales ou personnelles, ou les récits autobiographiques, il a envahi les présentoirs des librairies et certains se sont hissés dans les meilleures ventes. Abordant des thèmes peu courants dans la BD, le roman graphique a ouvert le neuvième art à un nouveau public.
En tant que bibliothécaire, je suis régulièrement amenée à choisir et à acheter des bandes dessinées. Surtout dans mon établissement scolaire où beaucoup d’élèves ne lisent pas ou très peu… BD et mangas sont souvent un produit d’appel pour les faire entrer à la bibliothèque ! Au fil des années et sans vraiment les identifier comme tels, j’ai finalement acquis un nombre non négligeable de romans graphiques. Au détour de la lecture d’un article sur le sujet, j’ai eu envie d’en savoir plus !
Entrons donc dans cet univers de textes et d’images…
Qu’est-ce que le roman graphique ?
On considère souvent que le roman graphique est né avec le dessinateur américain Will Eisner, auteur de « Un pacte avec Dieu » en 1978. Mais le terme est flou et ne met pas tout le monde d’accord. Qu’aurait-il donc de différent pour qu’on en fasse une catégorie séparée des BD traditionnelles ?
La différence entre BD et roman graphique
Visualisez une BD classique, du genre de celles que vous aviez entre les mains étant petit, la « BD » franco-belge : le format, les 48 pages… Astérix, Tintin… Vous voyez ?
Maintenant, le roman graphique. D’après les diverses sources que j’ai consultées, on pourrait dire qu’il se présente comme cela :
- un nombre de pages plus élevé qu’une BD « normale »
- un plus petit format, souvent à couverture souple et non cartonnée
- une approche graphique simplifiée et/ou plus libre
- le noir et blanc plus fréquent
- un traitement plus littéraire qui se rapproche du roman
- plus d’espace pour développer le propos, les émotions, les questionnements et la psychologie des personnages
- souvent destiné à un public adulte
- plutôt un volume unique, ou alors une série au nombre de tomes prédéfini
Disons que pour certains c’est le format qui fait la particularité du roman graphique alors que pour d’autres ce sera la structure ou le style narratif.
« Un roman graphique, c’est une bande dessinée qui nécessite un marque-page. » Art Spiegelman
Le développement du roman graphique – quelques repères
Le mot « roman graphique » vient de l’américain « graphic novel », expression utilisée en 1964 par un critique littéraire pour qualifier certains titres plus sérieux et plus mûrs que les comics traditionnels, plutôt enfantins ou humoristiques.
En France, le premier roman graphique est probablement « La balade de la mer salée » de Hugo Pratt, sorti en 1975 alors que le terme n’était pas encore utilisé. D’abord spécialité des maisons d’éditions alternatives comme Futuropolis ou L’Association, le modèle est ensuite repris par les gros éditeurs, voyant que le concept trouve son public.
Les premiers romans graphiques à connaître le succès ont été des biographies, par exemple « Persepolis » de Marjane Satrapi où l’auteure raconte son parcours sous le régime islamiste iranien, ou le très populaire « L’arabe du futur » de Riad Sattouf qui décrit son enfance entre Libye, Syrie et France. Plus récemment, certains auteurs ont utilisé ce format pour exorciser leurs traumatismes, telle Catherine Meurisse, survivante de Charlie Hebdo avec « Les grands espaces ».
Comme l’explique Fred Paltani-Sargologos dans son travail de master, « le roman graphique a introduit des thématiques nouvelles, comme l’autobiographie ou le quotidien. Cette nouvelle bande dessinée, plus littéraire, participe à sa légitimation culturelle. »
Le roman graphique a donc bien trouvé sa place dans nos habitudes de lecture actuelles, mais qu’en est-il de son utilisation dans le monde des soins et en bibliothérapie en particulier ?
Le roman graphique peut-il être thérapeutique ?
Saviez-vous que le roman graphique et son utilisation dans le domaine des soins fait l’objet d’un site web ? J’ai découvert Graphic medicine, un site qui explore les interactions entre ce medium qu’est le « comics » en anglais et le discours thérapeutique, sous l’égide d’un collectif de chercheurs universitaires, de professionnels de la santé, d’auteurs, d’artistes et de fans de comics. Ce collectif organise même une conférence annuelle sur le sujet dans le monde anglophone !
Lancé par Ian Williams, médecin et artiste, cette idée de médecine par le roman graphique a d’abord été pensée dans son sens très large de « soins » par forcément directement relié au monde médical. Mais le terme « graphic medicine » a finalement été validé par une étude scientifique sur l’utilisation des comics dans l’éducation médicale et le soins aux patients ! Ce genre littéraire est utilisé comme un outil supplémentaire pour enrichir la relation soignant-patient, notamment auprès des jeunes ou des personnes de langue étrangère.
Le roman graphique a-t-il sa place en bibliothérapie ?
Je vais vous répondre que oui, mais avec des « si »…
Si le bibliothérapeute ne travaille qu’avec des extraits d’ouvrages littéraires, et qui plus est en les lisant à haute voix, le roman graphique ne lui sera évidemment pas utile ! Le texte étant restreint et fait pour accompagner des images qui ont tout autant d’importance dans la compréhension de l’histoire, difficile de l’utiliser dans un atelier de bibliocréativité en groupe par exemple.
Si, comme moi, vous pensez que tous les genres de livres peuvent être utiles en bibliothérapie, et dans le cadre d’une bibliothérapie davantage « informative », le roman graphique est une perle. Abordant des thèmes sérieux touchant la vie quotidienne, il permet d’entrer en contact avec ces sujets en douceur, par l’intermédiaire du dessin, souvent de manière émouvante ou avec humour (voir quelques titres ci-dessous). Le roman graphique est alors un moyen merveilleux de traverser le processus bibliothérapeutique décrit par Todd Fries :
- l’identification aux personnages ou aux situations rencontrées dans l’histoire ;
- la catharsis où les émotions du lecteur peuvent s’exprimer grâce au lien avec l’histoire ;
- la discussion qui permet au lecteur de comprendre ses émotions et comportements à la lumière de l’histoire, et de commencer à trouver des moyens d’y faire face.
Bien que Todd Fries décrivent ce processus chez les enfants, nombreux sont les adultes qui pourront témoigner de ce mécanisme dans leur propre vie à la lecture de tel ou tel livre (moi en premier !). A noter que dans le cas d’adultes, l’étape de la discussion devrait, dans l’idéal, avoir lieu avec un bibliothérapeute. Mais elle est également possible de manière solitaire, par exemple en utilisant une fiche de lecture pour s’aider à se poser les bonnes questions ou en parcourant ce que j’appelle les étapes de la lecture consciente.
Une petite sélection de titres qui m’ont touchée
Comme je vous le disais en début d’article, j’ai eu l’occasion d’acheter au fil des années un certain nombre de romans graphiques pour ma bibliothèque. Voilà une petite sélections de ceux qui m’ont marqués :
« Moi en double » de Navie et Audrey Laine
Récit en noir, blanc et rouge d’une femme en obésité morbide qui se bat pour se libérer de son « double », ce surpoids qui équivaut à une deuxième elle-même qui la suivrait partout. Un double protecteur, une armure contre le monde extérieur qui la pousse à l’hyperphagie. Le combat intérieur, le regard des autres, la perte de poids et ses conséquences, la peur de regrossir, tout est transmis à la fois avec humour et violence, notamment par le dessin, assez impressionnant parfois. Et ce double, seul trait rouge dans ces pages en noir et blanc.
« Ce n’est pas toi que j’attendais » de Fabien Toulmé
L’auteur raconte l’expérience de la naissance de sa deuxième fille. Durant toute la grossesse, il imagine avec angoisse la possibilité qu’elle soit trisomique. Tout semble aller bien, jusqu’à ce que le doute d’insinue quelques jours après la naissance. Finalement, la sentence tombe : non-détectée durant 9 mois, la petite est bien trisomique… Complètement dévasté, le papa est incapable d’entrer en contact avec ce bébé. Il lui faudra un long chemin, de spécialiste en spécialiste, pour lui faire apprivoiser la situation et débuter une belle relation père-fille.
« La différence invisible » de Mademoiselle Caroline et Julie Dachez
Roman graphique sur la réalité quotidienne d’une jeune femme qui découvre qu’elle est Asperger. Très émouvant et écrit avec beaucoup de tact, on comprend mieux ce que ces personnes vivent.
« La page blanche » de Boulet et Pénélope Bagieu
Eloïse se réveille sur un banc parisien sans souvenir de ce qu’est sa vie. Amnésique, elle entreprend des recherches pour retrouver qui elle est, sans succès. Une quête d’identité pour ce personnage obligé de laisser son ancien soit derrière elle et de s’ouvrir à la possibilité de devenir quelqu’un d’autre.
« Love story à l’iranienne » de Jane Deuxard et Deloupy
Jane Deuxard, un duo de journalistes qui garde l’anonymat pour pouvoir voyager en Iran sans être dénoncés, est parti à la rencontre des jeunes iraniens. Ils nous raconte leurs difficultés à s’aimer au grand jour, la place des femmes dans la société, les mariages arrangés, sous la coupe d’un régime moins ouvert qu’il n’y paraît…
« Speak » d’Emily Carroll, d’après le roman de Laurie Halse Anderson
Un roman graphique où le terme « roman » prend tout son sens puisque c’est la version graphique du roman pour jeune du même titre. Un récit abordant le thème du viol, du traumatisme à l’adolescence, de la difficulté de parler. Une adolescente qui se mure dans le silence pour continuer à vivre.
D’autres titres sont aussi présentés dans l’épisode 27 de « C’est lundi, que lisez-vous ? ».
Le roman graphique, ce petit format qui permet un récit plus long, plus sérieux, est maintenant bien implanté dans la majorité des librairies et son marché se partage entre les plus grands groupes d’édition comme Dupuis, Glénat ou Delcourt. Ce court article se veut une invitation à découvrir cet univers riche et touchant, alors à vos marques, prêts… LISEZ !
Ah oui… Si vous êtes un grand connaisseur du roman graphique et que vous avez haussé les sourcils devant mes inexactitudes et autres approximations, rendez-vous dans l’espace commentaire ! Visiblement le roman graphique est un terme qui fait débat et, n’étant pas une spécialiste, je suis toujours heureuse d’apprendre 🙂
J’ai lu « Ce n’est pas toi que j’attendais » et… wah… quel livre. J’ai ri et pleuré. Un sacré récit.
Merci pour les autres suggestions
D’accord avec toi ! Beaucoup de ces romans graphiques sont vraiment touchants…
Article très intéressant.
D’autant plus que certains titres présentés sont dans une thématique que j’affectionne particulièrement : le voyage et la découverte d’autres cultures.
Merci beaucoup Aline !
Cet article est très intéressant, surtout pour moi qui dessine. Est-ce que ce format est aussi possible pour les essais, les témoignages ou seulement réservé au roman ? Maintenant que tu as attisé ma curiosité, je vais aller y voir de plus près.
Merci @+ Isabelle
Bonjour Isabelle, oui le « roman » graphique est souvent utilisé pour des témoignages ou des récits de vie ! Il y a aussi de plus en plus de BD « documentaires » qui pourraient tendre vers l’essai. Bref, c’est de plus en plus diversifié 😉