Bonne lecture ! Aline
Comment la lecture est un moyen d’évasion…
Voici une question qui a eu le mérite de me pousser à réfléchir consciemment à ma pratique de la lecture, en décortiquant les différentes étapes me conduisant à lire tel ou tel livre.
Etant dévoreuse d’ouvrages littéraires depuis ma prime enfance, je ne m’étais jamais posé de question sur les raisons ou les origines qui me faisaient aimer être transportée ailleurs au moyen de la narration d’un récit, me contentant du simple plaisir de lire.
Aline a, bien mieux que moi, abondamment écrit sur le sujet des bienfaits de la lecture, abordant notamment l’utilité de la lecture pour faire une pause dans sa vie, pour mieux comprendre le monde, ou encore comme outil habile pour développer notre empathie. Mais au fond, l’évasion ne serait-elle pas justement un des nombreux bienfaits de la lecture ? Le livre ne participe-t-il pas à notre bien-être en nous faisant voyager ?
Il serait plus facile de vous emmener en voyage littéraire au travers de la chronique ou critique d’un ouvrage plutôt que part mes réflexions personnelles, mais je vais laisser aux nombreux blogs traitants de ce sujet le soin de le faire.
Dans la dernière partie de cet article cependant, je mentionnerai tout de même des livres de voyages, ou plutôt des récits d’aventures, qui m’ont transportée ailleurs, qui m’ont littéralement permis de m’évader d’un quotidien et d’une météo froide et pluvieuse, et qui sont à l’origine d’une conversation ayant débouché sur le défi de répondre à cette question : comment la lecture permet l’évasion.
Comment l’objet « livre » nous emmène en voyage…
Pendant longtemps j’ai eu la chance d’habiter une ville dotée d’une bibliothèque municipale bien fournie en livres de tous genres, qui comblait mes besoins de lecture.
Les pérégrinations de vie m’ont ensuite conduite à vivre éloignée d’un tel service public. Je n’ai pas trop souffert de ce manque, vivant proche d’une librairie indépendante et adepte des achats de livres d’occasion via ce formidable outil qu’est Internet.
Malgré tout, rien ne remplace les signaux du plaisir dans mon cerveau lorsque j’entre dans une librairie ou une bibliothèque, je peux littéralement voir ma boîte crânienne se remplir d’endorphines à la vue de tous ces livres, mes poumons se gonfler d’aise en respirant l’odeur du papier. Cette sensation olfactive se retrouve lors de mon passage quotidien à proximité d’une scierie ou en visite chez le chocolatier !
Puis, va s’ensuivre la sensation du toucher ; saisir un livre, le retourner pour parcourir la quatrième de couverture, lire le résumé, sentir le désir charnel de m’y plonger, la séduction qui se joue entre lui et moi, entre le souhait de l’acquérir et la raison qui me dit que j’en ai déjà assez à lire qui m’attendent.
L’enfer est pavé de bonnes intentions dit le proverbe, et j’avoue céder à la tentation bien plus souvent qu’à mon tour, avec malgré tout, des résolutions une fois la nouvelle année venue (je n’achète plus de livres tant que je n’ai pas lu tous ceux qui s’empilent chez moi…), qui sont mises à mal très rapidement !
Mais je m’égare…
Vous l’aurez compris, je reste une inconditionnelle, indécrottable et fervente amatrice du livre papier. Les arguments divers et très rationnels poussant à l’achat d’une liseuse électronique n’ont pas encore fait fi de mon côté gaulois résistant encore et toujours à l’envahisseur.
Bref, la visite dans une librairie, l’acquisition d’un ouvrage écrit, l’anticipation du plaisir, la programmation d’un temps de lecture, tout ce qui entoure le voyage dans l’univers de l’auteur-rice, ce sont les préludes à l’évasion, les préliminaires d’un rendez-vous avec une aventure littéraire, une histoire contée par un autre être humain, l’invitation à pénétrer dans un ailleurs, la possibilité de découvrir un autre monde.
Un peu comme un premier rendez-vous amoureux, heureusement renouvelé plus souvent que celui découlant des prémisses d’une relation entre deux êtres humains, ce petit objet du désir livresque me donne envie de le découvrir, de l’effeuiller, de le parcourir, de l’annoter, d’y revenir, de prendre mon temps, de le lire tout simplement.
Lecture et évasion
Après l’acquisition ou l’emprunt du dit opuscule, vient celui tant attendu, un peu fantasmé de la lecture.
Assise dans mon fauteuil, dans le train, ou juste avant de partir pour un voyage onirique, l’immersion ou l’embarquement est immédiat, sans devoir passer par des contrôles plus ou moins poussés, des portiques de sécurité ou l’oppression d’une foule en partance.
Certains livres vont me pénétrer, ne plus me lâcher, un peu comme certaines séries addictives, et jusqu’à des heures indues, au milieu de la nuit, j’aurai ainsi parcouru des plaines, steppes, montagnes ou rivages, réels ou imaginés.
Le moment de la lecture est éminemment égoïste, un peu solitaire, tel un plaisir autrefois interdit ou réprouvé. Notre cerveau, notre esprit, notre âme sont les derniers gardiens de contrées dont nous sommes les uniques propriétaires, mais pas les uniques explorateurs. Mais je m’égare dans des digressions plus adaptées à un article sur les effets de la lecture sur le cerveau qu’à celui sur l’évasion par la lecture.
Plongée dans un ouvrage fait de papier, d’encre, de sueur et d’ardeur, d’espérance, l’espace de quelques minutes, voir, avec de la chance ou une bonne organisation de mon temps, quelques heures, l’opuscule me permettra plus sûrement qu’une cordée de draps lancée au travers d’une fenêtre entravée de barreaux d’acier, de m’évader littéralement.
La définition de l’évasion
En cherchant à cerner le sujet de cet article, je me suis référé à mon dictionnaire pour trouver quelle était la définition du mot « lecture » et de celui « d’évasion ».
Pour le premier, il s’agit de l’action de lire, de déchiffrer. Pour le second : Action de s’évader, de s’échapper d’un lieu où l’on était enfermé. Oubli momentané des contraintes, des soucis.
N’étant pas enfermée au sens primaire du terme dans une prison, je vais donc pas chercher à m’échapper d’un lieu où je suis cloitrée.
Par contre, l’oubli momentané de ma vie quotidienne, avec ses joies et ses peines, ses contraintes et ses libertés, est clairement un moyen pour mon esprit de s’éclipser, au moyen du déchiffrage d’un récit, véridique ou romancé.
La lecture d’un essai, quelque en soit le sujet, ne me procure jamais ce sentiment d’évasion, de répit, d’ailleurs. Il nourrira mon cerveau, m’apprendra de nouvelles connaissances, probablement utiles, mais ne permettra pas à la part existant au fond de moi, apparentée à celle des premiers homo sapiens migratus, de découvrir des champs d’inexploré, de partir à la rencontre de l’imprévu. Un livre contant une aventure, un voyage (même intérieur), répond par contre à cet appel.
Des bienfaits de l’immobilité forcée
Il y a quelques années, je fus immobilisée durant quelques mois, incapable d’aller respirer l’odeur du ciel. Cette pause forcée me permis d’être disponible pour revenir à une habitude de lecture quotidienne, pour être pleinement immergée dans des ailleurs, ressentant dans ma chair les difficultés physiques de Sylvain Tesson parcourant Les chemins noirs afin de se remettre en forme après un grave accident.
Einstein disait que « les synchronicités c’est Dieu qui se balade incognito ». Quel merveilleux hasard à ce moment précis de ma vie, de pouvoir vibrer à l’unisson d’un corps meurtri, de surcroît celui d’un auteur apprécié, qui l’espace de quelques jours pouvaient me prêter ses jambes afin que je puisse moi aussi goûter à la saveur de la liberté.
Rare sont les films permettant d’explorer des dimensions lointaines avec cette profondeur. L’immédiateté de la consommation d’images, 48 ou 60 par secondes ne permet pas, du moins dans le confort d’une salle de cinéma, de plonger au cœur de l’histoire, de faire remonter à la surface de notre conscience les détails infimes qui constitueront la richesse de ce bouquin.
A l’heure de l’accélération du temps, de la présence omnisciente des réseaux sociaux, de la déferlante d’images, le livre permet, moyennant une poignée de francs ou d’euros, de prendre la tangente, et ce sans passeport, ni visa. Durant des heures, des jours et des nuits, les contingences du quotidien n’existeront plus, la pluie incessante deviendra prétexte à connaître la suite sans culpabilité de n’avoir respiré aucune une bouffée d’air frais ce jour-là.
Des éditions pensées pour l’évasion
Lorsque le monde ne marchait pas encore sur la tête et que nous pouvions fréquenter les travées des festivals, j’ai découvert la maison d’édition Transboréal durant le salon du livre de Genève.
Là, devant moi…. oh source de frustration !!! s’étalait des dizaines et des dizaines de livres de voyages. Pas de ceux qui vous indiqueront les tables les plus fréquentées, mais de cette sorte qui donne envie de tout laisser tomber pour marcher dans les traces de ces aventuriers et aventurières. De ceux qui poussent à voir dans l’autre et dans l’ailleurs non pas un danger, mais un enrichissement.
Mon désarroi fût immense lorsque, constatant que je n’aurais jamais assez de temps ni d’argent pour pouvoir étancher ma soif de lecture, je dus me résoudre à ne choisir que quelques ouvrages, en fonction de ma prochaine destination.
Depuis, ne pouvant résister à l’appel de l’ailleurs, de nouveaux ouvrages sont venus rejoindre les premières acquisitions. Ayant découvert d’autres éditeurs, cela m’a donné envie de ne plus partir, physiquement, aussi souvent, mais de m’évader quotidiennement au moyen de mots couchés sur des pages, racontant des aventures et des cheminements intérieurs.
Voyage et écrivains voyageurs
A pied avec Sylvain Tesson
Je disais donc que lors de mon immobilisation forcée, incapable de me déplacer, mais toujours en possession de mes mains, Sylvain Tesson m’a prêté ses pieds sur Les Chemins noirs. Lui-même y contait sa rééducation au moyen d’une traversée de la France sur ces fameux chemins noirs, parcourant la campagne et la France d’en bas, digressant comme lui seul sait le faire sur la corrélation entre la désertification des campagnes françaises et le développement outrancier des systèmes de communication qui isolent les individus et éloignent les frères de terre à défaut de sang.
Le premier livre découvert de cet écrivain sensible, poète et lucide fût Dans les forêts de Sibérie, lu après avoir vu le film éponyme. Il m’en était resté un goût de vodka et de tabasco dans la bouche, l’image d’un alcoolique n’ayant que pour seule ambition celle de vider le maximum de bouteilles de tord-boyaux infâmes.
M’intéressant à celui que je considérais comme un hurluberlu, j’ai découvert un être d’une rare finesse, un écrivain capable de vous pénétrer au plus profond au moyen de son arme de prédilection : des mots incisifs, dépouillés du superflu.
J’ai appris la géopolitique pétrolière en lisant Eloge de l’énergie vagabonde, tout en remplissant mon âme des odeurs et de la chaleur étouffante de l’Asie centrale, en sentant les muscles de mes cuisses brûler à chaque coup de pédale. Je considère Sylvain Tesson comme un fin observateur du monde, de nos sociétés, de l’humain, dénué de romantisme aveugle, mais rempli d’émerveillement. Il m’a donné envie de partir à la découverte de ces terres et ses habitants.
En Mongolie avec Marc Alaux
La Mongolie et ses steppes infinies, son ciel d’un bleu unique, et sa géopolitique prise entre le Dragon et l’Ours, son histoire parsemée de conquêtes sanglantes de territoires lointains, mais également de répression et d’un joug d’acier durant la seconde partie du XXème siècle. Ce pays qui, comme le mien, n’est bordé d’aucune mer, est magnifiquement raconté dans les ouvrages de Marc Alaux, grand connaisseur intime de ses terres, sa langue et ses habitants. Avant de m’y rendre, la lecture de ses ouvrages m’a transposée au cœur d’un hiver glaçant, permis de traverser des rivières en crues, de jouir de l’hospitalité sans faille des nomades (pour plus de livres sur la Mongolie, c’est ici !)
Sans avoir même commencé à fouler son sol, j’étais déjà tombé en amour avec ce pays, l’illusion qui nous fait voir l’ailleurs comme mystique et sans défaut en moins.
La découverte de Joseph Kessel
Il est difficile dans un article traitant de la littérature de voyage de faire l’impasse sur ce très grand écrivain que fût Joseph Kessel.
Je l’ai découvert à l’âge où la bibliothèque verte (pour les plus de 40 ans !) représente le summum de la littérature. Ma mère souhaitant m’initier à la littérature française m’avait offert Le lion. Je n’avais pas encore atteint la maturité me permettant de savourer le récit autrement qu’au premier degré…
A l’écoute du podcast Les Baladeurs (épisode 27 de la seconde saison, Hugo Nazarenko), j’ai eu envie de me plonger dans ses romans, avec en premier Les Cavaliers.
Je n’ai pour ainsi dire pas lâché ce livre durant quelques jours, souhaitant connaître les péripéties physiques et les tourments psychiques d’Ouroz et Mokkhi, qui au final ne sont que le reflet de nos propres errances, le cheval y représentant les signes de richesse tant intérieure qu’extérieure.
En 2021, un voyage en Afghanistan est impensable, à mon grand regret ! Joseph Kessel, au travers de ce roman mais également du Jeu du Roi, a planté une graine dans la liste de mes souhaits, qui ne demande qu’à germer afin d’éclore au soleil de ce pays riche d’une histoire à nulle autre pareille, faite de souffrance, de dignité, d’humiliation, mais également de bravoure, de résistance, de fierté et d’honneur.
S’évader lorsque l’ailleurs est inaccessible
A l’heure où un virus invisible est venu bouleverser nos habitudes de vie et de voyage, remettre en question nos certitudes, questionner notre rapport au vivant et notre maison mère, la littérature de voyage reste, pour ma part, un moyen de m’évader, de partir vers des ailleurs aujourd’hui disparus ou inaccessibles, et de cheminer intérieurement. Les écrivains me prêtant, moyennant mon attention, leurs yeux, leurs pieds, leurs regards.
Toutes ces raisons, en plus du simple plaisir de la lecture, me pousseront encore longtemps à ouvrir la porte des librairies et bibliothèques de quartier pour écumer leurs rayonnages et découvrir de nouveaux horizons.
Et vous, lecteurs, prenez-vous le temps de lire pour vous évader ?
Natacha
Petite note de fin d’Aline : même les autoroutes promeuvent le livre pour voyager ! Preuve en est l’action « Lire c’est voyager, voyager c’est lire », parrainée en 2024 par Sylvain Tesson. L’auteur, dont Natacha nous a parlé, nous propose une sélection de quatorze livres pour faire une pause dans le voyage (en voiture…) et partir vers de nouveaux horizons (en littérature !). De belles idées de lecture, s’il vous en fallait davantage.
PS : Les photos de livres et paysages de cet article sont la propriété d’Aline Maurer, vous pouvez en découvrir davantage sur mon compte instagram : https://www.instagram.com/deslivrespourcheminer/
Merci, Natacha, pour ton article entraînant.
En son temps, j’ai lu avec passion « Les cavaliers » de Kessel, ce qui m’a poussée en été 1974 à partir en voyage en Afghanistan, un Afghanistan encore accessible à l’époque…
Oui, les livres peuvent nous permettre de nous évader, mais parfois l’évasion peut heureusement devenir réelle !
Les livres nous offrent un vrai temps rien que pour nous et je crois que ça fait parti du bonheur qu’apporte un livre en plus de son histoire 🙂
Absolument 🙂
Ce sujet me parle vraiment !
Même si pour moi les livres que je lis sont plutôt l’occasion de voyages « intérieurs ».
Merci pour cet article !